"Il était temps". La ministre déléguée à la Fonction publique et à la Réforme administrative au sujet de l'ouverture de la fonction publique

La Voix: A partir de quand la fonction publique luxembourgeoise sera-t-elle ouverte aux citoyens de l'Union européenne?

Octavie Modert: C'est déjà le cas, la nouvelle législation est désormais pleinement applicable. Le mois prochain il y aura des examens-concours d'accès aux différentes carrières. Le premier aura lieu le 7 juillet. Nous avons attendu l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation avant de les organiser, c'est pourquoi le nombre de postes proposé, 50, est assez élevé. Les délais d'inscription sont déjà clos et 10% des personnes qui se sont inscrites doivent passer un test de langue préliminaire. Nous avons 1.000 candidats dont 43 ne sont pas Luxembourgeois. A remarquer que d'habitude, de très nombreux candidats ne se présentent pas à l'examen et que seulement environ la moitié de ceux qui participent réussissent.

La Voix: Cette ouverture s'est faite suite aux pressions répétées de la Commission européenne. Est-ce une mauvaise chose pour le Luxembourg?

Octavie Modert: Avant tout il faut préciser que nous avons désormais une mise sur pied d'égalité de tous les candidats. Une personne de nationalité non luxembourgeoise ayant passé sa scolarité ici n'a pas besoin de passer l'épreuve linguistique, tandis qu'un Luxembourgeois qui a fréquenté un lycée en Belgique par exemple devra lui aussi passer des tests de langue. Cela ne dépend donc pas de la nationalité, mais de la scolarité. Nous avons trois langues officielles au Luxembourg, il est clair qu'il faut les connaître. Mais ce n'est pas un moyen de ségrégation, tout au plus un moyen d'intégration. Je pense qu'il est juste aujourd'hui de se rapprocher du pays réel et de donner les mêmes chances aux personnes qui ont grandi ici.

La Voix: Mais cette ouverture aurait-elle eu lieu sans pression européenne?

Octavie Modert: Il était temps de franchir le pas, avec ou sans pression européenne. Il y a une certaine coïncidence temporelle avec notre nouvelle loi sur la nationalité. C'était dans l'ère du temps et il y avait la volonté politique pour le faire. D'ailleurs, le règlement grand-ducal reprenant les postes comportant une participation à l'exercice de la puissance, et donc réservés aux Luxembourgeois, était initialement une longue liste reprenant un à un les postes concernés. Mais j'ai moi-même voulu la rendre plus compréhensive et facile d'accès. Il a dès lors été évident de reprendre la manière proposée par le Conseil d'Etat: une liste définissant les postes réservés aux Luxembourgeois. Cette manière de faire, une liste de 11 points, reflète mieux la volonté d'ouverture du gouvernement.

La Voix: Aujourd'hui environ 10% des postes sont occupés par des non-Luxembourgeois alors que la proportion des citoyens européens résidents est de près de 32%. Faut-il s'attendre à un rush de leur part vers la fonction publique surtout dans le contexte économique actuel?

Octavie Modert: D'une part je pense effectivement que nous aurons plus de demandes en chiffre absolu. Mais d'autre part, nous avons constaté que dans des domaines qui sont déjà ouverts, comme par exemple l'enseignement, l'afflux de nouvelles candidatures n'a pas été massif. En outre, on constate qu'il s'agit essentiellement de personnes qui sont nées et qui ont grandi ici. Ce qui est un élément très important pour moi. Sans oublier l'introduction de la double nationalité, de sorte qu'on ne peut pas constater statistiquement s'il s'agit de personnes qui n'avaient pas la nationalité luxembourgeoise quand elles sont nées.

La Voix: Cette image, plus ou moins caricaturale, selon laquelle les Luxembourgeois se réfugient dans la fonction publique laissant le secteur privé aux étrangers, ne risque-t-elle pas de vaciller dans l'esprit de certains et d'alimenter des réflexes hostiles face aux étrangers?

Octavie Modert: Il ne faut ni avoir peur ni créer de peur en disant "au secours les étrangers nous prennent nos places". Nous savons combien nous avons besoin des étrangers. Je pense même que notre manière de cohabiter, déjà fort positive, peut encore se renforcer de cette façon. Là où l'ouverture existe déjà, l'expérience nous a montré qu'il ne fallait pas craindre d'afflux, il n'y a donc pas de raisons d'avoir ces craintes. Car de toute manière, ce sont le plus souvent des gens qui ont toujours vécu ici qui soumettent leur candidature. Les chiffres montrent dès lors que ces craintes n'ont pas lieu d'être, et même si ces chiffres étaient différents, la démarche serait toujours aussi légitime.

La Voix: Une question qui revient régulièrement est celle de savoir si à l'avenir il faudra s'adresser en français ou en allemand à un guichet, plutôt qu'en luxembourgeois?

Octavie Modert: C'est pourquoi il y a les tests de langue. Il est évident qu'il faut connaître les trois langues qui sont utilisées le plus au Luxembourg. Mais il est tout aussi clair que le même niveau de maîtrise des langues n'est pas nécessaire partout. C'est pourquoi nous avons imposé des conditions et niveaux différents en fonction des carrières, les trois langues ne doivent pas toutes être maîtrisées de la même façon. Tous les candidats peuvent indiquer quelle langue ils maîtrisent le mieux et laquelle le moins. Les conditions sont donc les mêmes pour tous. Le système des épreuves a d'ailleurs été professionnalisé suivant le cadre européen commun de référence pour les langués. La langue ne doit pas être un moyen de ségrégation.

La Voix: Le luxembourgeois ne risque-t-il pas malgré tout de passer à la trappe? En carrière inférieure le niveau demandé pour la troisième langue n'est pas très élevé.

Octavie Modert: Le luxembourgeois est surtout la langue véhiculaire donc parlée, c'est pourquoi ce n'est pas grave si quelqu'un préfère être testé en allemand ou en français comme langue forte et écrite. Car le luxembourgeois est nécessaire de toute façon pour communiquer au travail et je pars du principe que si le niveau de luxembourgeois ne devait pas être parfait, il s'améliorerait par la suite au travers du travail et dés contacts quotidiens. Cela ne doit donc pas poser un grand problème.

La Voix: L'autre face de l'ouverture est l'intégration des non-Luxembourgeois.

Octavie Modert: Tout à fait, plus nous aurons de non-Luxembourgeois qui travaillent dans la fonction publique, mieux ils comprendront et connaîtront le pays. Je pense d'ailleurs que c'est un argument à porter face à ceux qui redouteraient cette ouverture.

La Voix: A quoi il faut ajouter la double nationalité et la prochaine ouverture de la fonction de bourgmestre à des non-Luxembourgeois...

Octavie Modert: En effet, les étrangers résidant au Luxembourg n'auront bientôt plus aucune raison de ne pas s'intéresser au pays et pourront participer à son évolution.

La Voix: De manière générale cette ouverture représente-elle un nouveau moment pour le pays où s'agit-il d'une suite logique?

Octavie Modert: Je dirais les deux, paradoxalement. Il s'agit de continuité dans la mesure où la politique a toujours voulu voir le pays comme une unité et non comme un ensemble de communautés qui ne se connaissent pas. Et qui a - amené à une loi telle que la double nationalité. Mais c'est aussi une toute nouvelle notion qui est intégrée dans cette continuité: il est désormais possible d'être chez soi partout et de participer partout à la vie au Luxembourg. Cela doit se faire dans une évolution naturelle. Car même si un seuil est franchi, il ne s'agit pas d'un pas qui serait illogique.

Dernière mise à jour