"Qui dit engagement, dit appréciation et évaluation", François Biltgen au sujet de la réforme dans la fonction publique

Forum: Contrairement au régime contractuel régissant les relations de travail dans le secteur privé, le fonctionnariat est un statut. Pourquoi?

François Biltgen : Parce que le service public a besoin de continuité et de neutralité par rapport à la politique qui gouverne l'Etat. Voilà pourquoi il faut, en principe du moins, assurer aux fonctionnaires une garantie d'embauche à vie. La protection du statut de fonctionnaire n'est donc pas un but en soi, mais sert à protéger le fonctionnaire et les citoyens des pressions politiques. Si les hommes politiques doivent déterminer la politique, la façon dont celle-ci est exécutée au quotidien doit être indépendante et neutre. Un fonctionnaire doit être au service du public, du citoyen. Dans le passé, on avait certes une approche un peu différente. On parle dans d'anciens textes encore d'"administré", donc de quelqu'un subordonné à l'"administration". Je préfère parler de "citoyen-usager".

Forum: Une carrière dans la fonction publique est toute tracée d'avance.

François Biltgen: Actuellement, le déroulement de la carrière du fonctionnaire repose sur deux critères objectifs: le diplôme initial qui entraîne le classement dans une carrière précise et l'ancienneté qui façonne l'avancement de celle-ci. Mais cela pose problème. Ainsi, pour faire carrière auprès de I'Etat, il faut y entrer dès l'obtention du diplôme initial. Travailler d'abord dans le secteur privé constitue un désavantage pour la carrière. Par ailleurs, comme toute carrière est conçue comme une pyramide, il se peut que selon le service, le fonctionnaire atteigne rapidement son grade de fin de carrière, ou, au contraire, risque de stagner. Dernier désavantage: les critères d'engagement, de responsabilité et de lfelong learning ne sont actuellement pas assez reconnus.

Forum: Quel est profil recherché?

François Biltgen: Jean-Claude Juncker a eu raison de mettre l'accent sur le rôle de la formation lors de son dernier état de la nation : "Fir Staatsbeamten ze ginn, muss een eppes wëssen an dofir muss een en Exame maachen [...] Fir Staatsbeamten ze sinn, geet et net duer eppes ze wëssen et muss een och eppes kënnen." Nous parlons là d'assiduité, de qualité du travail, de relations personnelles et professionnelles. Si je ne suis pas content avec mon coiffeur ou avec mon avocat, je vais en voir un autre. Si je ne suis pas satisfait avec mon préposé des contributions directes ou avec l'instituteur des mes enfants... tant pis, je n'ai pas le choix ! Il faut donc que l'Etat garantisse que tous les citoyens soient servis avec la même qualité, sans distinction. C'est une donne importante du débat, notre grand défi et une contrepartie du statut de la fonction publique ainsi que de la garantie de l'emploi y contenue. Peu importe ce que disent certains syndicalistes de nos projets: il ne s'agit pas de mesures d'austérité, la nouvelle réforme repose sur une philosophie et est destinée à moderniser et à améliorer la fonction publique. Il ne s'agit pas d'une réforme contre les fonctionnaires publics, mais pour la fonction publique.

Forum: Lorsqu'il s'agit de recrutement, l'État se trouve souvent en concurrence avec des entreprises privées prêtes à dépenser beaucoup d'argent. Je pense par exemple aux jeunes juristes.

François Biltgen: Nous rencontrons en effet de réels problèmes dans le recrutement de jeunes juristes. Bien sûr, un avocat d'affaires a d'autres revenus qu'un juge. Mais il a aussi d'autres contraintes et d'autres objectifs. Nous voulons communiquer aux étudiants: "Venez faire un stage auprès de l'Etat, au Parquet par exemple. Vous verrez que c'est un métier noble et important. Vous avez d'autres choix que d'aller travailler dans des cabinets d'avocats d'affaires." [Monsieur Biltgen pointe vers l'étude Arendt et Medernach située en face de son bureau.] Les grandes firmes d'avocats font de la publicité pour leur entreprise en organisant par exemple des réceptions d'information somptueuses pour les étudiants en droit sur le lieu de leur université à l'étranger. L'État doit aussi "se vendre" davantage. Voilà pourquoi fin février, le ministère de la Justice et le ministère de la Fonction publique seront pour la première fois présents à la réunion annuelle des associations des étudiants en économie (Anesec) et en droit (ANELD).

Forum: Les carrières au sein des administrations publiques ont historiquement toujours été extrêmement cloisonnées.

François Biltgen: Nous évoluons toujours dans un environnement marqué par le corporatisme intellectuel. La fonction publique telle que nous la connaissons aujourd'hui date de 1963. Elle fut calquée sur le marché du travail de l'époque, en imitant le mode de fonctionnement de l'ARBED et de son organisation interne très hiérarchisée. Les non-qualifiés (qui à cette époque représentaient 60 % des travailleurs au Luxembourg) ne se retrouvaient d'ailleurs pas dans la carrière du fonctionnaire, mais dans celle de 1'" ouvrier de l'Etat". La fonction publique était divisée en trois catégories très cloisonnées. En bas de l'échelle de la fonction publique, la carrière inférieure recrutait avant tout les personnes ayant réussi l'examen de passage la carrière moyenne recrutait parmi les détenteurs d'un diplôme de fin d'études de l'enseignement secondaire ; quant à la carrière supérieure, elle ne recrutait que très peu de personnes. On ne retrouvait les universitaires que presque exclusivement dans l'enseignement et dans la justice. Sur le marché de l'emploi d'aujourd'hui, la situation a aussi bien changé : plus de 50% des nouvelles embauches demandent un diplôme bac+. Autre évolution: en 1963, l'Etat n'avait pas besoin de carrières techniques. Aujourd'hui, si.

Mais ces carrières n'ont pas toujours été valorisées à leur juste niveau, puisque I'Etat se voyait avant tout comme une administration. Constat final: la fonction publique de l'époque était un organe de gestion administrative plutôt que de direction économique et politique. Or, pour que l'Etat puisse aujourd'hui remplir son rôle dans l'économie et dans la sphère politique (que ce soit ici ou en Europe), il faut qu'il devienne une entité de direction...

Forum: L'État aurait donc un autre rôle à jouer. Comment cela se traduit-il dans les principes de recrutement des fonctionnaires?

François Biltgen: Nous tenons davantage compte des expériences professionnelles faites en dehors de la fonction publique. De nos jours, une personne passant de l'économie privée à l'Etat est clairement défavorisée. Pour recruter ces personnes, nous devons donc actuellement recourir à des "avatars" en les embauchant comme employés de l'Etat, ce qui est une entorse au principe que l'Etat ne devrait engager ses agents qu'en tant que fonctionnaires et par le biais d'un examen-concours, seul critère objectif d'embauche. A l'avenir, nous voulons plutôt embaucher les personnes avec le statut de fonctionnaire de l'Etat, en mettant l'accent sur le life long learning et sur la mobilité interne. Au lieu de recruter de plus en plus de jeunes universitaires avec un master, nous voulons donner les moyens aux fonctionnaires existants, recrutés dans des carrières subalternes, de percer le cloisonnement de la carrière dans laquelle ils évoluent. Soit en leur donnant du congé pour faire des études, soit en adaptant la carrière à la réalité de l'emploi exercé. Nous voulons ainsi tenir compte de l'engagement et de la responsabilité des fonctionnaires. Et qui dit engagement, dit appréciation et évaluation. C'est un changement de paradigme qui produit chez les concernés de nouvelles peurs qu'il faut prendre au sérieux.

Forum: Le terme d'"employabilité" a-t-il un sens pour la fonction publique?

François Biltgen: Oui, mais il faut la définir et décliner de manière différente que dans le secteur privé. Celui qui fait une carrière phénoménale dans le secteur privé sera peut-être un fonctionnaire minable, et vice-versa. Disposer du savoir requis est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Un fonctionnaire doit surtout savoir se comporter. Lexamen-concours actuel peut tester les connaissances, mais pas les qualités personnelles. Voilà pourquoi, à côté de l'examen général, il y aura un deuxième examen organisé par les administrations, adapté aux besoins spécifiques et prenant en compte également les qualités personnelles. Ce qui nous amène à la reforme de la péri ode de stage. Pourquoi est-il nécessaire?

François Biltgen: Jusqu'à présent, il manquait une formation spécifique adaptée aux besoins de l'administration. Prenez les instituteurs: durant leur formation, ils ne sont, autant que je sache, jamais appelés à connaître la loi scolaire, leurs droits et devoirs, les implications de leur statut de fonctionnaire, les conséquences juridiques de leurs décisions d'orientation pédagogique, qui sont juridiquement des "décisions administratives" pouvant être contestées en justice. C'est une des raisons pour lesquelles les instituteurs devraient, comme tous les autres fonctionnaires, aussi connaître une période de stage.

Forum: Comment le stage se conjuguera-t-il?

François Biltgen: En trois étapes : la formation générale, spécifique et pratique.

Forum: Concrètement, comment se déroulera la partie pratique du stage?

François Biltgen: Il faut prendre le stagiaire "par la main" : il sera mis sous la direction d'un patron de stage, qui lui expliquera comment procéder, qui sera disponible pour répondre à ses questions et qui accompagnera les décisions de ce dernier. Le patron de stage jouera donc un rôle assez important et devra tenir un carnet de stage. Il évaluera le trayail pratique du stagiaire selon les critères de la "qualité du travail", de l'"assiduité" et de la "valeur personnelle et relationnelle". Certes, les stagiaires gagneront moins qu'à leur assermentation en tant que fonctionnaires (80 % de leur salaire durant les deux premières, 90 % durant la dernière année de stage), mais ils auront droit à une réelle formation. Qu'en est-il des formations continues ? Vous nous avez parlé des formations facultatives, mais est-ce qu'il en existe qui sont contraignantes?

Forum: Oui, elles existent.

Forum: Même pour les hauts fonctionnaires ?

François Biltgen: Pour eux aussi, oui. Depuis 2001, l'lnstitut national d'administration publique propose des cycles de formation en management public pour les jeunes cadres dirigeants. La participation à certains de ces stages est obligatoire pour passer aux grades élevés de carrière. Par ailleurs, nous introduirons une nouvelle formation pour les compétences leadershzp. Voyez-vous, de par le passé, j'ai souvent fait la même expérience: de très bons collaborateurs d'administration « forts en tête » se révèlent souvent être de très mauvais directeurs.

Forum: En tant que ministre, quelle est votre appréciation par rapport à la motivation des fonctionnaires?

François Biltgen: En général, elle est bonne. Mais cela varie beaucoup d'une administration à l'autre.

Forum: Comment voulez-vous stimuler la motivation des fonctionnaires?

François Biltgen: En introduisant le principe de la gestion par objectifs dans tous les services, en dessinant des organigrammes, en élaborant des job descriptions et en introduisant des entretiens annuels de progression (Mitarbeitergespräche) qui ont pour but de garantir à chacun un dialogue avec son chef. Il faut voir ces dialogues comme une chance pour établir l'esprit d'équipe et pour améliorer en commun le service public. Il ne s'agit pas d'une appréciation personnelle, qui est un autre concept et ne sera mis en oeuvre en pratique que pendant trois fois pendant la carrière.

Forum: Dans le secteur privé, ces Mitarbeitergespräche sont assurées par les services de ressources humaines. Les chef de département d'administration ne sont-ils pas preparés pour endosser ce rôle ? En ont-ils les compétences

François Biltgen: Les compétences, il faut les construire en interne.

Forum: Mais c'est une tâche qui vous prendra une décennie!

François Biltgen: Non, car que nous y travaillons déjà. Dans le privé aussi, ce sont d'ailleurs souvent les chefs de service et non les responsables en ressources humaines qui mènent ces discussions, alors qu'il s'agit de mettre l'importance sur le fonctionnement du service auquel sont affectées les personnes en question.

Forum: Les réactions de la Confédération générale de la fonction publique à la reforme n'étaient pas tout à fait enthousiastes...

François Biltgen: Oui, et cela m'a toujours déprimé quelque peu. Dans une interview à la radio il y a un an, j'avais proposé de venir personnellement à la conférence des comités, donc la base de la CGFP, pour expliquer la philosophie de la réforme.

Cette idée a été refusée et révulse d'ailleurs encore aujourd'hui la CGFP. Il nous a fallu une centaine d'heures d'entrevues pour calmer les peurs du syndicat et aboutir à la signature d'un accord, mais nous y avons réussi. Or ces explications ne sont pas parvenues jusqu'aux membres de la CGFP, alors que celle-ci s'est contentée en juillet de faire "passer la pilule" à la base, en se vantant d'avoir obtenu en contrepartie de la réforme un accord salarial augmentant les traitements en 2012 et 2013, sans vraiment expliquer pourquoi elle a accepté un certain nombre de réformes structurelles auparavant contestées.

Forum: Parmi les points critiqués se trouve la possibilité de licenciement pour "insuffisance professionnelle".

François Biltgen: Aujourd'hui, dans la fonction publique, on ne peut que perdre sa place par une procédure disciplinaire. On n'est pas viré parce qu'on est un "mauvais fonctionnaire", mais parce qu'on est une "mauvaise personne". Une gaffe sérieuse suffit pour qu'un fonctionnaire, qui des années durant a fait un excellent travail, risque de perdre son emploi. Par contre, un autre fonctionnaire qui ne fait rien toute la journée, mais ne commet pas de faute grave non plus, ne risque rien. Nous avons donc introduit le critère de "l'insuffisance objective professionnelle". Evidemment, le noeud du problème avec la CGFP était ce qu'il fallait entendre par ce terme. Il ne s'agit pas de licencier un fonctionnaire qui ne réussit pas à faire son travail, mais plutôt de déterminer pourquoi c'est le cas. Parce qu'il n'a pas les connaissances nécessaires Parce qu'en cours de route, il a eu un accident de la vie ? Parce que l'ambiance dans le service est détestable ? Parce que son chef de service l'a abandonné ? Nous nous donnerons alors une année après avoir constaté que le fonctionnaire ne fait pas un travail acceptable pour élaborer un plan de réinsertion afin de remettre le fonctionnaire à niveau. Si, par la suite, la personne ne peut ou ne veut toujours pas exécuter correctement son travail, il nous faudra prendre des mesures. Ce point de la réforme très contesté au début est entretemps largement accepté, même par les enseignants, pourtant très critiques à l'idée d'évaluation. Mais je tiens à souligner qu'une fois cette procédure introduite, elle ne concernera certainement pas beaucoup de personnes. Vous souhaitez garantir une bonne qualité de service public dès la phase de sélection des fonctionnaires.

Forum: Qu'en est-il du contrôle de la qualité du travail après le stage?

François Biltgen: J'aimerais vous rendre attentifs au fait que nous offrirons la possibilité de formations continues également aux fonctionnaires qui travaillent à mi-temps. C'est un élément essentiel pour encourager les femmes, dont beaucoup travaillent à temps partiel. La formation continue devra se faire dans des temps et espaces plus longs. Elle devra renforcer l'employabilité au sein de l'État et donner accès à de nouvelles carrières. Dans le même état d'esprit (qui est aussi celui du processus de Bologne), nous voulons aussi garantir la validation des acquis de l'expérience. Car certaines choses ne s'acquièrent que par l'expérience, sur le tas. Prenez la fiscalité directe : la grande majorité des Luxembourgeois qui s'y connaissent l'ont étudiée sur le tas dans les administrations publiques.

Forum: L'exemple que vous citez pose quand même la question de savoir si le principe de garantir l'employabilité des fonctionnaires (aussi pour le secteur privé) ne peut pas entrer en contradiction avec le principe de continuité. Par le passé, de nombreux fonctionnaires de l'administration des contributions directes ou de l'enregistrement sont passés dans l'économie privée une fois les compétences acquises...

François Biltgen: Cela a été en effet le cas pendant un moment - ça l'est beaucoup moins aujourd'hui. Je constate au contraire un mouvement d'agents d'un certain âge du privé vers le public, même si, pour les concernés, il est lié à une perte importante de revenus. Il y a, surtout à partir d'un certain âge, une forte demande de stabilité, de droits de pension et de conditions de travail moins stressantes. Il faut être clair il est évident qu'un jeune diplômé qui commence aujourd'hui dans une banque y gagnera (au début du moins) jusqu'à 2 000 euros de moins qu'un jeune qui travaille dans le service public. Mais ses possibilités de carrière et de rémunérations futures sont autrement plus prometteuses. Travailler pour l'Etat, c'est un choix avec ses avantages (emploi à vie, début de carrière intéressant, même à l'avenir après l'introduction du nouveau stage, carrière assurée, conditions de travail moins stressantes) et désavantages (perspectives de rémunération plus faibles à partir d'un certain seuil d'engagement personnel). Un haut fonctionnaire ne gagnera jamais autant qu'un manager privé, mais il aura d'autres satisfactions.

Forum: Le privé et le public seraient-ils donc deux systèmes separés?

François Biltgen: Oui, et cela restera le cas. Mais il n'y a pas assez de passerelles entre le privé et le public. Personnellement, l'énorme clivage entre ceux qui travaillent dans le privé et ceux qui sont employés dans le public me gêne beaucoup. Les uns ne comprennent pas les autres. Mais une personne qui passe du privé à la fonction publique a forcément une autre perspective et une autre approche, ce qui peut être bénéfique.

Forum: Le fait que des hauts responsables des administrations publiques acceptent des postes dans l'économie privé ne comporte-t-il pas le risque de conflits d'intérêts?

François Biltgen: Vous comprendrez que je ne peux pas commenter spécifiquement des cas personnels. Mais comme réponse générale, je vous conseille la lecture de l'avant-projet de règlement grand-ducal fixant les règles déontologiques dans la fonction publique. L'article 22 est assez clair : "L'agent veille à ne pas profiter de sa fonction pour obtenir une possibilité d'emploi hors de la Fonction publique. Il évite de laisser la perspective d'un autre emploi lui créer un conflit d'intérêts réel ou potentiel. L'agent ne doit pas tirer avantage de sa fonction publique antérieure et notamment des informations privilégiées ni des compétences étendues recueillies à ce titre. Il lui est interdit d'utiliser ou de divulguer des informations confidentielles obtenues en sa qualité d'agent. Il en est de même du fait de donner à quiconque des conseils fondés sur des programmes, des politiques ou des informations concernant l'Etat et non disponibles au public. Un non-respect de ces principes pourra à l'avenir entraîner des sanctions.

Forum: Nous aimerions vous poser quelques questions en votre qualité de ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. En effet, le terme d'"employabilité" est surtout utilisé dans le contexte du processus de Bologne. Comment voyez-vous l'employabilité des étudiants diplômés à l'Université du Luxembourg?

François Biltgen: Je ne peux pas répondre actuellement à cette question. Je peux juste vous dire que nous avons donné mission à l'Université du Luxembourg de réaliser une étude sur les étudiants qui y ont obtenu leur diplôme. Nous essaierons de déterminer si le jeune diplômé a trouvé un emploi, où il l'a trouvé et pour combien de temps il l'a gardé.

Forum: L'administration de l'emploi ne fournit-elle pas des données à ce sujet?

François Biltgen: L'ADEM ne renseigne que les personnes à la recherche d'un emploi. D'après les statistiques de I'ADEM, nous aurions assez peu de personnes à "niveau de qualification supérieure" de nationalité luxembourgeoise au chômage. En plus, I'ADEM connaît comme seule catégorie de classement le "niveau supérieur", qui désigne toute personne disposant d'un diplôme de 1re ou de 13e et qui a passé quelque temps dans l'enseignement supérieur sans nécessairement y avoir obtenu un diplôme. Mais il y a bien sûr des universitaires au chômage sans que nous ayons vraiment un "chômage universitaire". Pourquoi ? Au Luxembourg, il y a dans certains domaines si peu d'emplois qu'on ne peut pas garantir aux jeunes universitaires d'exercer une activité dans laquelle ils se sont spécialisés. Voilà le problème de l'employabilité. On ne peut pas garantir à tous les étudiants en sport ou en arts de devenir professeur d'éducation physique ou artistique. Pourtant, je ne dirais jamais à quelqu'un de ne pas étudier le sport ou les beaux-arts juste ceci: ne vous attendez pas à ce que l'Etat luxembourgeois vous fournisse votre travail de rêve à la clé.

Forum: Comment voyez-vous l'employabilité des doctorants?

François Biltgen: Comme un problème réel, mais surmontable. Le risque est qu'ils étudient très longtemps jusqu'à être hyperspécialisés, avec une formation très pointue certes, mais sur une base d'employabilité au Luxembourg très étroite. Il faudrait au contraire donner la priorité aux expériences pratiques, comme le recommande d'ailleurs le processus de Bologne. Encore récemment, j'ai discuté avec le Luxembourgeois Robert Freymann, ancien responsable de la recherche auprès de BMW et professeur à la Technische Universität (TU) de Munich. Il m'a expliqué pourquoi il embauchait à l'époque souvent ses propres étudiants. Tout simplement parce qu'il les connaissait et que cette connaissance valait plus qu'un entretien d'embauche ou un examen-concours. La symbiose entre économie et recherche fonctionne de manière géniale à la TU München. L'économie investit des grandes sommes d'argent dans l'université qui, à son tour, permet à l'industrie d'être à l'avant-garde de la recherche. Les jeunes doctorants embauchés dans le privé deviennent à leur tour des enseignants à l'université. Ce genre de symbiose manque encore à notre université, mais elle s'est déjà formidablement impliquée dans la recherche de partenariats public-privé. D'un autre côté, il faut cependant éviter que les universités doivent courir après les financements privés et n'être qu'à la solde de ces derniers. Leur indépendance doit être assurée majoritairement par de l'argent public.

Forum: Vous parlez de la responsabilité des jeunes diplômés à rester employables, qu'en est-il de celle des entreprises?

François Biltgen: Il faut que les mentalités évoluent non seulement celles des salariés, mais aussi celles des entreprises. Les entreprises n'ont par exemple toujours pas compris qu'une personne qui a fait des études en sciences humaines amène avec elle de nouveaux horizons qui ne peuvent qu'être bénéfiques à l'entreprise et qu'il ne faut pas seulement engager des personnes spécialisées en droit ou en gestion. De toute façon, il faut avoir des compétences transversales et sociales au-delà des compétences techniques spécifiques.

Forum: Nous venons de parler des jeunes dzplômés, mais comment analysez-vous les difficultés des chômeurs plus âgés à réintégrer le marché de l'emploi?

François Biltgen: Vous faites ressurgir l'ancien ministre du Travail en moi ! La structure jeune du marché de l'emploi pose un réel problème. Il y a les aides publiques, bien sûr, mais beaucoup d'entreprises ne les connaissent pas, et même si elles savent qu'elles peuvent embaucher un salarié "plus âgé" (en fait souvent à la mi-quarantaine) à un prix imbattable, elles préfèrent ne pas le faire. Soit elles se disent "Dans le service pour lequel nous souhaitions embaucher, la moyenne d'âge est de 31 ans et le chef de service en a 38", soit "Il n'a pas fait les études adéquates". Malheureusement, également la fonction de responsable de ressources humaines n'est pas suffisamment reconnue dans la pratique au Luxembourg.

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